La ville de Paris demande à ses habitants s’ils veulent conserver les trottinettes électriques en libre-service. Transport Policy Matters est là pour aider les Parisiens à peser les arguments pour décider de leur vote le 2 avril.
Par Philippe Crist, Rex Deighton-Smith et Ronan Mac Erlaine du Forum International des Transports
Une vue d’ensemble
Les urbanistes considèrent de plus en plus les trottinettes électriques et les autres nouvelles options de mobilité comme un moyen d’aider les gens à “relier les points” entre les multiples choix de transport lorsqu’ils se déplacent dans la ville. Les futurologues considèrent le modèle de “mobilité en tant que service” comme une évolution du transport personnel vers un écosystème de transport qui permet de se rendre facilement là où l’on veut, quel que soit le mode de transport. Si l’on supprime l’une de ces options, ou “points”, il devient plus difficile de passer d’un mode de transport à l’autre.
Les trottinettes électriques font déjà partie de l’offre de transport de la capitale française. Les trottinettes sont un moyen supplémentaire relativement léger, durable et sûr pour les Parisiens de se déplacer. Les trottinettes électriques en libre circulation complètent généralement les autres options de transport dans une ville où environ 50 % des déplacements se font à pied et 32 % par les transports publics. Les voitures particulières ne représentent que 13 % des déplacements à Paris.
En libre-service
Les villes du monde entier ont adopté des approches très différentes à l’égard des trottinettes électriques. Paris a adopté une attitude non interventionniste à l’égard de leur réglementation il y a environ quatre ans et demi, en adoptant essentiellement une approche “essayer et voir”. Après de nombreuses consultations, les parisiens seront invités à voter pour ou contre cette nouvelle forme de micromobilité. Mais le vote ne concerne que les trottinettes partagées en free-floating, actuellement exploitées par Dott, Lime et Tier. Aucune restriction n’est proposée pour les trottinettes privées, même si elles ne sont pas soumises aux mêmes contrôles réglementaires. Alors que les ventes de trottinettes privées atteindront près d’un million d’unités dans toute la France en 2021, l’idée d’interdire uniquement les 15 000 trottinettes en free-floating à Paris semble quelque peu incongrue.
Sont-elles sûres ?
Le rapport d’ITF “Safe Micromobility“, publié en 2020, conclut que les trottinettes électriques présentent des niveaux de sécurité similaires à ceux des bicyclettes classiques. C’est normal, puisqu’elles roulent à des vitesses similaires et que la gestion de la vitesse est la clé de la sécurité.
Ces conclusions reposaient sur des données limitées, car les trottinettes électriques partagées venaient à peine d’arriver sur la scène mondiale à l’époque. L’ITF travaille actuellement à la mise à jour de cette étude, et les nouvelles données semblent confirmer ces conclusions. Plus fondamentalement, les opérateurs de flottes de trottinettes électriques partagées ont mis en œuvre, ou ont été obligés de mettre en œuvre, des améliorations en matière de sécurité. Les vitesses sont automatiquement réduites dans les zones à haut risque, les véhicules sont entretenus selon des normes strictes et des travaux sont en cours pour éviter les doubles déplacements en surveillant les fluctuations de poids des conducteurs. Aucune de ces améliorations n’affecte la flotte de trottinettes privées, beaucoup plus nombreuse.
L’encombrement de l’espace public par les trottinettes en libre-service est une plainte récurrente. À son crédit, la ville de Paris a été un leader mondial lorsqu’il s’est agi de lutter contre le stationnement anarchique des trottinettes électriques. En 2019, une ordonnance locale a interdit le stationnement des trottinettes électriques sur les trottoirs, dans les zones piétonnes ou dans la rue. Dans le même temps, la ville a converti 2 500 places de stationnement pour voitures en parkings partagés dédiés aux trottinettes électriques et aux vélos, et a exigé des opérateurs qu’ils ne terminent leurs trajets que lorsque les trottinettes sont garées dans ces corrals.

Il est encore trop tôt pour savoir si les initiatives de la ville de Paris visant à rendre les free-floaters plus acceptables – comme la réduction de la vitesse, la restriction des zones de stationnement et l’interdiction de leur utilisation sur les trottoirs et pour les moins de 16 ans – ont augmenté leur acceptation par ceux qui ne les utilisent pas. Mais il est dans l’intérêt public de poursuivre ces politiques. Par exemple, le fait que les villes qui n’ont pas tenté de gérer l'”encombrement des rues” ont constaté une augmentation des chutes de piétons âgés souligne l’importance de poursuivre ces initiatives.
Sont-elles écologiques ?
Les recherches sur leur impact environnemental montrent que les trottinettes électriques ont des performances similaires à celles des vélos électriques tout au long de leur cycle de vie, de la fabrication à la mise hors service, en passant par l’exploitation et l’entretien.
Ce n’était pas nécessairement le cas au départ, car de nombreux trottinettes étaient des modèles prêts à l’emploi, non conçus pour une utilisation partagée intensive. L’allongement de la durée de vie des véhicules se traduit par une réduction de l’impact environnemental du cycle de vie par kilomètre. Au fil du temps, la durée de vie moyenne d’une trottinette partagée est passée de quelques mois à cinq ans. Elles sont plus lourdes, plus robustes et conçues de manière à ce que les pièces usées puissent être remplacées en cas de besoin, sans qu’il soit nécessaire de mettre l’ensemble de la trottinette hors service.
Lorsqu’il s’agit de rendre les transports urbains plus écologiques, on parle surtout de “transfert modal”, c’est-à-dire de faire passer les voyageurs d’options de transport plus polluantes à d’autres qui le sont moins. Une personne qui remplace un trajet en voiture à essence par un trajet en vélo à pédales fait un pas dans la bonne direction. Lorsqu’un trajet en trottinette électrique remplace un trajet à pied, c’est un résultat négatif, n’est-ce pas ? Très probablement, mais il se peut que le trajet en trottinette se fasse jusqu’à une station de transport public et que le trajet combiné trottinette électrique-train soit plus durable qu’un trajet en voiture ou même qu’un trajet en bus en dehors des heures de pointe.
Les trajets remplacés par les trottinettes électriques dépendent également du point de départ. Étant donné que les déplacements en voiture sont si peu nombreux à Paris, la probabilité qu’un trajet en trottinette remplace un trajet en voiture est probablement plus faible qu’à Toulouse ou à Dallas, où les déplacements en voiture dominent. Néanmoins, une étude récente de la ville de Paris montre que 19 % des trajets en trottinette électrique remplacent des trajets effectués en voiture avec chauffeur, en taxi ou en voiture particulière. C’est assez impressionnant dans une ville où les déplacements en voiture sont si peu nombreux.
Le mieux est l’ennemi du bien
Voltaire, penseur français du XVIIIe siècle, aurait peut-être proposé de conserver les nouveaux free-floaters sur la base du principe selon lequel “le mieux est l’ennemi du bien”. Les avantages des trottinettes électriques en termes de mobilité sont considérables et leur utilisation devrait être acceptable, à condition qu’ils ne soient pas moins sûrs que les autres moyens de transport que nous acceptons déjà. Inversement, il n’y a guère de raison d’essayer de les soumettre à une norme plus élevée de sécurité absolue.
Il est probable que les trottinettes électriques, sous une forme ou une autre, continueront à faire partie du futur système de mobilité durable. La vitesse étant désormais limitée à 30 km/h sur toutes les routes de la capitale française, à l’exception de quelques grands axes, et l’utilisation de la voiture ayant diminué de moitié au cours des 30 dernières années, le moment est peut-être venu de développer davantage les nouvelles formes de mobilité.
Compte tenu de l’engouement et de la popularité des trottinettes en libre-service, toute interdiction qui ne s’accompagnerait pas d’une limitation de l’utilisation des trottinettes électriques privés est susceptible de voir leur part de marché croître massivement. Dans ce cas, il sera difficile d’améliorer la sécurité générale, mais la disparition des trottinettes pouvant être loués par des utilisateurs occasionnels aura créé un problème d’équité et d’accessibilité.
Le Forum international des transports œuvre pour des politiques de transport qui améliorent la vie des gens. Restez à l’écoute pour des mises à jour sur nos travaux en matière de micromobilité.